Sur les 113 prélats appelés à Poissy
pour un colloque pré-synodal par la Régente de France, 50
se présentèrent le 31 juillet 1561: 6 cardinaux (Tournon,
Lorraine, Armagnac, Bourbon, Châtillon et Guise), 3 archevêques
(Bordeaux, Tours et Embrun) et 41 évêques. L'adresse d'ouverture
fut lue en français -langue de la cour- et non en latin -langue
de l'Église- par le chancelier Michel de l'Hospital, après
une brève allocution du roi Charles IX - encore enfant (il avait
11 ans). La Régente Catherine de Médicis, tour à tour
inquiétante et rassurante, finira par interdire de quitter Poissy
sans son autorisation.
Le président, honneur dû à l'âge, fut Tournon.
Le réel président d'assemblée fut Lorraine. Les quelques
théologiens catholiques qui avaient tendance à faire preuve
d'ouverture d'esprit, n'eurent pas le droit de vote, même si Lorraine,
à la fois porteur de la tradition et parfois apparemment modéré,
l'aurait souhaité. Un subside pour le Roi fut voté sous la
menace de saisie des biens ecclésiastiques. Châtillon scandalisa
pour avoir osé communier à sa manière. Tels furent
les débuts un peu ternes et peu prometteurs de ce colloque,où,
il faut le noter, les prélats catholiques ignoraient avoir à
recevoir des protestants.
Si l'esprit de tolérance à l'origine du
colloque de Poissy est dû au bon conseiller Michel de l'Hospital,
c'est la Reine-Mère et Régente Catherine
de Médicis qui en est responsable. Pari risqué d'autonomie
relative par rapport à Rome (et à l'Espagne menaçante
aussi bien avec ses armées qu'avec sa cinquième colonne :
la future Ligue), et de rapprochement calculé par rapport aux puissances
protestantes à l'extérieur et à l'intérieur
du royaume, le colloque ne pouvait réussir que si le haut clergé
cédait à la menace et aux pressions - sans même parler
de la simple humanité de la raison et du coeur - au lieu de poursuivre
invariablement le même chemin: celui de la tradition et de l'anathème,
qui mène à Rome, comme chacun sait.
Premier élément machiavélique, la tenue concommitante
d'États généraux à Pontoise appelait la fin
des envois d'argent à Rome, la saisie de biens ecclésiastiques
et, bien-sûr la liberté de religion. Les prélats catholiques
pourraient alors préférer définir eux-mêmes
leur destin en jouant la carte offerte par la régente au Colloque:
une réforme interne de l'Église de France plus avancée
que celle attendue du Concile
de Trente, effectuée sous les auspices du Roi (ou plutôt
de la Reine mère) tout en étant ultérieurement soumise
pour ratification au Pape.
Deuxième élément machiavélique, le fait accompli
-surprise - de la présence des délégués protestants
(annoncés par Armagnac le 25 août 1561) qu'il fallut bien
au moins écouter. Les prélats rassemblés à
Poissy étaient en fait dans une toile d'araignée si bien
tissée qu'ils n'en pouvaient sortir qu'en aquiescant aux volontés
de la couronne, même si 5 évêques s'opposèrent
à écouter les protestants. Allaient-ils proposer l'élection
des évêques participant au Concile, l'usage liturgique du
français, un adoucissement des exigences en matière de communion
propre à opérer un rapprochement avec les protestants, une
révision de la distance hiérarchique entre évêques
et prêtres, dépouiller les églises de l'ostentation
des images et des orgues et questionner la suprématie de l'Église
de Rome?
Mais c'était compter sans l'autre intolérance,
celle des chiens de Dieu, ces hommes aux vêtements sombres
et modestes, dotés d'un orgueil sans limite; ces hommes qui avaient
ce qui résiste à tout calcul: des idées et une conscience
-trop bonne pour être ouverte, dirait-on-: les protestants. Comment
en effet, celui qui est insusceptible de doute pourrait-il vraiment dialoguer
avec son voisin qui pense différemment? Il ne peut, en définitive,
que le sermonner.
Le 27 août, à Saint-Germain-en-Laye, une session conjointe
de délégués des États Généraux
de Pontoise et du Colloque de Poissy entendit Michel de l'Hospital, qui
leur rappela que le but n'était pas de construire une religion,
mais de construire une république où même les non chrétiens
peuvent être citoyens - a fortiori les membres des factions chrétiennes
rivales: protestante et catholique.
Lorraine et Tournon quittèrent l'assemblée, car ils refusaient
le primat accordé aux princes du sang (protestants comme Antoine
de Bourbon -père du futur Henri IV- et Condé) sur les cardinaux.
Catherine de Médicis usa de sa diplomatie. Les États généraux,
sous l'influence de Coligny, reconnurent la régence de Catherine
et furent dissous, ayant bien servi, le 31 août 1561. Restait donc
le Colloque de Poissy devenu par surprise interconfessionnel.
Lors de sa première rencontre avec Théodore
de Bèze, arrivé de la suisse calviniste, le cardinal de Lorraine
se montra peu enclin à faire de la transubstantiation*,
qu'il prônait pourtant lui-même, un article de foi propre à
empêcher un rapprochement; de Bèze exprimant son soutien à
une signification de présence réelle. Transubstantiation:
le pain n'est plus du pain, c'est le corps du Christ. Consubstantiation:
le pain est toujours du pain, mais le corps du Christ y est aussi réellement
présent. La position calviniste rejette l'une et l'autre pour voir
dans le sacrement de l'Eucharistie une matière invariable (du pain)
mais signifiante de la présence du Christ.
Craignant un incendie criminel de la part des protestants, les catholiques
tinrent un seau d'eau dans chaque pièce; craignant l'empoisonnement
de la part des catholiques, les protestants se méfièrent
de la soupe (la réputation des minestrone "à
l'italienne"). C'est dans ce contexte d'espoir et de défiance
que s'ouvrit le 9 septembre 1561 la partie interconfessionnelle du colloque
de Poissy qu'on appellera tout simplement le Colloque de Poissy avec l'adresse
du jeune Roi et de son conseiller.
La Grâce seule et l'Écriture seule,
telles furent les différence auxquelles Théodore de Bèze
affirma que les protestants ne renonceraient en aucun cas, même s'ils
restaient proches du catholicisme sur certains articles de foi et ouverts
au changement sur des points mineurs. Il réclama la protection du
Roi pour les calvinistes français et la fin des persécutions
et de l'injustice. En s'opposant à la transubstantiation catholique
et à la consubstantiation luthérienne, de Bèze formula
la position calviniste: le pain est du pain et reste du pain, c'est sa
signification qui change dans le sacrement. Sa formule célèbre:
"Le corps du Christ est aussi loin du pain et du vin que le ciel
de la terre", somme toute évidente pour qui réfléchit
librement, mais peu habile en ce contexte, fut [intentionnellement?] mal
comprise comme blasphématoire.
C'est le 16 septembre que le cardinal de Lorraine apporta la réponse
catholique. Il évoqua la supersubtantialité de l'union
avec le Christ et le mystère -inaccessible à la raison- de
la présence réelle dans l'Eucharistie, sans faire référence
à la transubstantiation. Enfin il conjura les calvinistes de laisser
tranquilles leurs troupeaux (les fidèles catholiques), de
partir ou de se convertir.
Alors que des princes allemands luthériens étaient invités,
arrivèrent au colloque de Poissy deux délégués
de la papauté: le cardinal de Ferrare, fils de Lucrèce Borgia,
et Diego Lainez, le général des Jésuites. Le Colloque
reprit en plus petite compagnie le 24 septembre. Il y avait alors, outre
la Reine mère, le Roi et la Reine de Navarre (Antoine de Bourbon
et Jeanne d'Albret), L'Hospital, Condé et Coligny (princes du sang
protestants: Navarre et Condé, conseiller catholique: L'Hospital,
conseiller protestant: Coligny), 5 cardinaux (Tournon s'étant retiré),
3 évêques, 3 théologiens et le général
des Jésuites. Treize ministres du culte protestants formaient la
délégation calviniste. Il y eut un nouvel échange
de discours entre le cardinal de Lorraine, Théodore de Bèze
et deux théologiens catholiques. Puis vint l'exigence des prélats
catholiques que les ministres protestants signassent, préalablement
à la reprise de la discussion, le 26 septembre un article de foi
sur l'Eucharistie conforme au catholicisme (sans le mot transubstantiation
toutefois), mais plus proche du luthérianisme (consubstantialiste)
que du calvinisme. Sur le refus évident et attendu des calvinistes,
le Colloque de Poissy proprement dit prit fin.
Cependant Catherine de Médicis n'était pas
femme à abandonner. Sur le conseil de Michel de l'Hospital, elle
décida de réduire encore le nombre des participants à
cinq de chaque côté et d'entamer des discussions privées
à Saint-Germain-en-Laye où résidait la Cour, hors
de la présence des délégués du Pape. L'appui
du cardinal de Lorraine fut conditionnel à ce que le seul sujet
de débat soit l'Eucharistie. On comprend que l'Église de
France voulait éviter tout dialogue sur sa réforme morale,
le luxe de son haut-clergé, sa hiérarchie, son obédience
ultramontaine, et tout autre point réellement important pour se
concentrer sur une seule syllabe : "hoc". "Ceci" fait-il
référence au corps ou au pain? Au corps, dit de Bèze.
Au pain, selon la grammaire latine, dit un théologien catholique...
Montaigne écrira : «Combien
de querelles et combien importantes a produit au monde le double sens de
cette syllabe, Hoc!». Et Ronsard, présent dans l'assistance
au Colloque de Poissy, écrivit, désabusé et amer:
"Les apôtres, jadis, preschoyant, tous d'un accord, Entre vous
aujourd'huy ne règne que discord".
Le 2 octobre, les prélats encore assemblés
à Poissy proposèrent de déclarer hérétiques
les théologiens catholiques qui cherchaient, sur ordre de la Reine,
un compromis avec les protestants à Saint-Germain-en-Laye. Telle
était l'ouverture d'esprit du haut-clergé à la veille
des guerres de religion. Catherine de Médicis intervint pour exiger
que Montluc propose la formulation amendée par de Bèze à
l'assemblée des prélats à Poissy; une commission fut
donc nommée le 4 octobre pour étudier cette dernière
formulation.
Le 9 octobre, la recommandation fut de déclarer la formulation hérétique,
car, entre autres, le Christ a dit "Ceci est mon corps" et non
" "Ceci sera mon corps quand vous le mangerez". Une autre
formulation, très catholique celle-là, fut "proposée"
aux ministres protestants. Depuis le début, le
but officiel des prélats catholiques était de convertir les
ministres protestants*, et ceux-ci désiraient
avant tout ouvrir les yeux de la Cour et obtenir la protection royale.
Sept voix dissidentes se firent entendre dans l'assemblée des prélats
- par ailleurs militante, récitant en coeur leur profession de foi
et s'engageant à la maintenir jusqu'à la mort. D'Espence
fut convoqué pour se justifier du soupçon de sympathie pour
les protestants; il déclara qu'il était plus facile de censurer
que d'écrire, et qu'il fallait éviter de mettre fin au dialogue.
Il proposa donc d'abandonner tout anathème et de se remettre au
travail. Mais l'assemblée se sépara le 13 octobre, sans même
proposer quoi que ce fut aux protestants, et sans consulter Catherine de
Médicis qui était bien capable de refuser une telle fin à
son initiative.
Le 26 octobre arrivèrent les luthériens
allemands, trop tard, remarqua un de Bèze soulagé de ce risque
de confrontation entre protestants (craint par dessus-tout par Calvin).
Mais comment ne pas voir qu'aux disputes des théologiens allait
tôt ou tard succéder le fracas des armes?
Les autorités qui régentent les consciences ont trop souvent
alimenté l'incompréhension et la haine, entretenu les préjugés
et cultivé l'ignorance. Ces exhortations de Pierre
Bayle et de Voltaire à la tolérance
ne devraient-elles pas être inscrites sur tous les lieux de culte
du monde?
Source principale: Donald Nugent, Ecumenism in the Age of the Reformation,
Harvard University Press, Cambridge, 1974.
Source secondaire: Georges Bordonove, Les Rois qui ont fait la France:
Les Valois, tome 6, Henri III, édition Pygmalion/Gérard
Watelet, Paris, 1998, 316 pages (en particulier, le chapitre II: Le colloque
de Poissy).
Autres sources (citées par D. Nugent): Histoire Universelle
d'Agrippa d'Aubigné, p. 308-309. FELICE Philippe de 1961 Le colloque
de Poissy, BSHPF CVII, p. 133-145, Paris. Histoire ecclésiatique
des églises réformées au royaume de France. Ed.
G. Baum and Ed. Cunitz, 3 vols, Paris, 1883-1889. KLIPFEL H. 1867 Le
Colloque de Poissy, Paris. RUBLE Baron Alphonse de 1889 Le Colloque
de Poissy, Mémoires de la Société de l'histoire
de Paris et de l'Isle de France, XVI, p. 1-56.
Note sur la transubstantiation: le mot n'apparut
qu'en 1215, au quatrième
Concile de Latran. La notion fut déclarée article de
foi au Concile de Trente, en 1564. Retour au texte.
Note sur l'oecuménisme "à la romaine",
dont le but est de convertir les interlocuteurs: cette tendance existe
encore aujourd'hui au sein de la Congrégation pour la doctrine
de la foi (qui a succédé en 1965 au Saint-Office,
lequel avait succédé en 1906 au Saint Office de l'Inquisition,
plus connu sous le nom d'Inquisition). Voir sa déclaration
du 6 août 2000 sur l'unicité de l'Église en plein
contexte d'ouverture oecuménique de la part de Jean-Paul II. L'Eucharistie
y est mentionnée comme un élément clé, refusant
même l'appellation d'Église à certaines communautés
(calvinistes?):" les Communautés ecclésiales qui n'ont
pas conservé l'épiscopat valide et la substance authentique
et intégrale du mystère eucharistique, ne sont pas des
Églises au sens propre". Retour au texte.
_____________________.____________
PHILOSOPHIE, EDUCATION, CULTURE