GERARD DE NERVAL
1808-1855
«Le soleil noir de la mélancolie,
qui verse des rayons obscurs
sur le front de l'ange rêveur
d'Albert Dürer»
citation extraite du Voyage en Orient
El Desdichado / Vers
dorés / Fantaisie
Oeuvres numérisées
/ Extraits des Chimères / Opinions
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EL DESDICHADO
Je suis le ténébreux, -le veuf, -l'inconsolé,
- Le prince d'Aquitaine à la tour abolie:
- Ma seule étoile est morte, -et mon luth
constellé
- Porte le soleil noir de la Mélancolie.
Dans la nuit du tombeau, toi qui m'as consolé,
- Rends-moi le Pausilippe et la mer d'Italie,
- La fleur qui plaisait tant à mon coeur
désolé,
- Et la treille où le pampre à la rose s'allie.
Suis-je Amour ou Phébus, Lusignan ou Biron?
- Mon front est rouge encor du baiser de la reine;
- J'ai rêvé dans la grotte où nage
la sirène...
Et j'ai deux fois vainqueur traversé l'Achéron,
- Modulant tour à tour sur la lyre d'Orphée
- Les soupirs de la sainte et les cris de la fée.
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VERS DORÉS
Eh quoi! tout est sensible.
Pythagore
Homme! libre penseur! te crois-tu seul pensant
- Dans ce monde où la vie éclate en toute
chose ?
- Des forces que tu tiens ta liberté dispose,
- Mais de tous tes conseils l'univers est absent.
- Respecte dans la bête un esprit agissant:
- Chaque fleur est une âme à la Nature éclose;
- Un mystère d'amour dans le métal repose;
- "Tout est sensible!" Et tout sur ton être
est puissant.
- Crains, dans le mur aveugle, un regard qui t'épie:
- À la matière même un verbe est attaché...
- Ne la fais pas servir à quelque usage impie!
- Souvent dans l'être obscur habite un Dieu caché;
- Et, comme un oeil naissant couvert par ses paupières,
- Un pur esprit s'accroît sous l'écorce des
pierres!
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Fantaisie
Il est un air pour qui je donnerais
- Tout Rossini, tout Mozart et tout Weber,
- Un air très vieux, languissant et funèbre,
- Qui pour moi seul a des charmes secrets.
Or, chaque fois que je viens à l'entendre,
- De deux cents ans mon âme rajeunit:
- C'est sous Louis-Treize... -et je crois voir s'étendre
- Un coteau vert que le couchant jaunit;
Puis un château de brique à coins de pierre,
- Aux vitraux teints de rougeâtres couleurs,
- Ceint de grands parcs, avec une rivière
- Baignant ses pieds, qui coule entre des fleurs.
Puis une dame, à sa haute fenêtre,
- Blonde aux yeux noirs, en ses habits anciens...
- Que, dans une autre existence, peut-être,
- J'ai déjà vue -et dont je me souviens!
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Nerval et Hugo

Les journées révolutionnaires de juillet 1830
ont inspiré à Nerval ce poème politique
et adressé à Victor Hugo
Les doctrinaires.
- I
- Oh ! le vingt-huit juillet,
- Quand les couleurs chéries,
- Joyeuses voltigeaient sur les toits endormis,
- Après que dans le Louvre et dans les Tuileries
- On eut traqué les ennemis !
- Le plus fort était fait : que cette nuit fut belle
!
- Près du retranchement par nos mains élevé,
- Combien nous étions fiers de faire sentinelle
- En foulant le sol dépavé !
- Oh ! nuit d'indépendance, et de gloire, et de
fête !
- Rien au-dessus de nous ! pas un gouvernement
- N'osait encor montrer la tête !
- Comme on se sentait fort dans un pareil moment !...
- Que de gloire ! que d'espérance !
- On était d'une taille immense,
- Et l'on respirait largement !
- II
- Ce n'est point la licence, hélas ! que je demande
:
- Mais si quelqu'un alors nous eût dit que bientôt
- Cette liberté-là, qui naissait toute grande,
- On la remettrait au maillot !
- Que des ministres rétrogrades,
- Habitant de palais encore mal lavés
- Du pur sang de nos camarades,
- Ne verraient dans les barricades
- Qu'un dérangement de pavés !
- Ils n'étaient donc point là, ces hommes
qui, peut-être
- Apôtres en secret d'un pouvoir détesté,
- Ont en vain renié leur maître
- Depuis que le coq a chanté !...
- Ils n'ont point vu sous la mitraille
- Marcher les rangs vengeurs d'un peuple désarmé...
- Au feu de l'ardente bataille
- Leur oeil ne s'est point allumé !
- III
- Quoi ! l'étranger, riant de tant de gloire vaine,
- De tant d'espoir anéanti,
- Quand nous lui parlerons de la grande semaine,
- Dirait : "Vous en avez menti !"
- Le tout à cause d'eux ! au point où nous
en sommes,
- Du despotisme encore...oh non A bas ! à bas les
petits hommes !
- Nous avons vu Napoléon.
- Petits ! - tu l'as bien dit, Victor, lorsque du Corse
- Ta voix leur évoquait le spectre redouté,
- Montrant qu'il n'est donné qu'aux hommes de sa
force
- De violer la liberté : C'est le dernier ! on peut
prédire
- Que jamais nul pouvoir humain
- Ne saura remuer ce globe de l'empire
- Qu'il emprisonnait dans sa main !
- IV
- Et quand tout sera fait, que la France indignée
- Aura bien secoué les toiles d'araignée
- Que des fous veulent tendre encor ;
- - Ne nous le chante plus, Victor,
- Lui, que nous aimons tant, hélas ! malgré
ses crimes,
- Qui sont, par une vaine et froide majesté,
- D'avoir répudié deux épouses sublimes,
- Joséphine et la liberté !
- Mais chante-nous un hymne universel, immense,
- Qui par France, Belgique et Castille commence...
- Hymne national pour toute nation !
- Que seule à celui-là la liberté
t'inspire !...
- Que chaque révolution
- Tende une corde de ta lyre !
Sur Notre-Dame de Paris
Notre-Dame de Paris.
- Notre-Dame est bien vieille ; on la verra peut-être
- Enterrer cependant Paris qu'elle a vu naître.
- Mais, dans quelque mille ans, le temps fera broncher
- Comme un loup fait un boeuf, cette carcasse lourde,
- Tordra ses nerfs de fer, et puis d'une dent sourde
- Rongera lentement ses vieux os de rocher.
- Bien des hommes de tous les pays de la terre
- Viendront pour contempler cette ruine austère,
- Rêveurs, et relisant le livre de Victor...
- - Alors, ils croiront voir la vieille basilique
- Toute ainsi qu'elle était puissante et magnifique,
- Se lever devant eux comme l'ombre d'un mort !
- Gérard de Nerval
- L'Almanach des Muses, 1832.
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Oeuvres numérisées
Oeuvres
de Gérard de Nerval (Gallica)
Bibliothèque Nationale de France
La
main enchantée (ABU)
Son maître était François
Villon
Aurélia
(Athena)
Le Rêve est une seconde vie
Les
Chimères (Athena)
La terre a tressailli d'un souffle prophétique
"ses sublimes poèmes des Chimères qui sont au sommet
de tout ce que l’homme ait jamais écrit et pensé"
Antonin Artaud
Lettre du 4 décembre 1945 à Henri
Parisot
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Extraits des Chimères
Tu demandes pourquoi j'ai tant de rage au coeur
- Et sur un col flexible une tête indomptée;
- C'est que je suis issu de la race d'Antée,
- Je retourne les dards contre le dieu vainqueur.
- Antéros
-
- En cherchant l'oeil de Dieu, je n'ai vu qu'une orbite
- Vaste, noire et sans fond, d'où la nuit qui
l'habite
- Rayonne sur le monde et s'épaissit toujours
- Le Christ aux Oliviers
-
- Roses blanches, tombez! vous insultez nos dieux,
- Tombez, fantômes blancs, de votre ciel qui brûle:
- La sainte de l'abîme est plus sainte à
mes yeux!
- Artémis
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OPINIONS
J'ai fait, chez Victor
Hugo, la connaissance du jeune traducteur de Faust.
C'est un esprit charmant, avec des yeux naïfs,
et qui a des idées
à lui sur Goethe
et sur l'Allemagne. Ulrich Guttinger,
Mémoires manuscrits, 27 juin 1829,
à propos de Gérard de Nerval.
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PHILOSOPHIE, EDUCATION, CULTURE
modifié le 4 mars 2000
Pierre Cohen-Bacrie